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dimanche 13 novembre 2016

613-EUGÈNE DEGAND (1829-1911), PHOTOGRAPHE À NICE-5




- DEGAND Eugène (1829-1911), Nice, Le Port, détail, vers 1875,
Nice et ses environs, 1875, 
 album de 25 photographies positives sur papier albuminé 
d'après des négatifs sur verre au collodion, 32 x 41 cm (vol.), vue F9, Paris, BnF,
cf. l'ouvrage sur Gallica.



VOIR LE DÉBUT DE CET ARTICLE



Comme dans ses peintures (cf. Artvalue) et à la manière des autres photographes niçois des années 1860-1880, Eugène Degand a aimé créer des scènes animées et donner échelle et vie à ses paysages par la présence de petits personnages vaquant à leurs occupations quotidiennes.

Cependant, quand on observe en détail ses photographies, on réalise que certains personnages reviennent à plusieurs reprises et qu'il s'agit souvent de photos mises en scène. 




- DEGAND Eugène (1829-1911), Nice, Le Port, ensemble et détail, vers 1874-1875,
carte cabinet, tirage albuminé de 15x9,6 cm, contrecollée sur carton épais de 16,5x10,9 cm, vue sud-nord, Collection personnelle.



Si l'on prend le pêcheur dans le port de Nice, photographié à plusieurs reprises le même jour, on peut se dire qu'il se prête de bonne grâce au jeu du photographe ou bien on peut se demander s'il ne s'agit pas du photographe lui-même ou de son collaborateur.

Prenons le personnage du pêcheur. C'est un homme barbu qui porte un pantalon sombre, un gilet bicolore sans manches sur une chemise claire et un chapeau melon. Le personnage derrière lui est pour sa part vêtu d'un pantalon gris orné d'un filet noir sur la couture, d'une veste sombre et d'un chapeau de feutre.

Nous retrouvons ces mêmes personnages, habillés d'une façon semblable, réduits au rôle de silhouettes dans des endroits déserts photographiés par Eugène Degand. Ainsi, l'homme barbu au chapeau melon se retrouve par exemple dans Nice, Route de la corniche, et l'homme au feutre dans Monte-Carlo, Les jardins du Casino.



DEGAND Eugène (1829-1911), Nice, Route de la corniche, ensemble et détail, vers 1875 (?),
Recueil - Voyages en France et en Europe, édité vers 1875-1885, vue F23, Paris, BnF,
cf., l'ouvrage sur Gallica.


DEGAND Eugène (1829-1911), Monte-Carlo, Les jardins du Casino. ensemble et détail, vers 1875 (?),
Recueil - Voyages en France et en Europe, édité vers 1875-1885, vue F17, Paris, BnF,
cf., l'ouvrage sur Gallica.


Et les deux hommes jouent les figurants autant que nécessaire, ensemble ou séparément. Ce n'est plus Blow-Up, c'est, Où est Charlie ?  

Voici un exemple, choisi parmi de nombreux autres (photographies de Nice, Cannes et Monte-Carlo), extrait du recueil intitulé, Nice et ses environs (1875). On y voit l'homme moustachu, portant cette fois un canotier et une ombrelle clairs, traverser la scène au second plan alors que l'homme barbu coiffé du melon est assis sur un banc au troisième plan et que l'on retrouve leur compère plus jeune au quatrième plan, toujours vêtu de son ensemble clair (celui couché dans la photo du pêcheur dans le port de Nice, voir ci-dessous) .


- DEGAND Eugène (1829-1911), Nice, Quai du Midi, ensemble, vers 1875,
Nice et ses environs, 1875,
 album de 25 photographies positives sur papier albuminé 
d'après des négatifs sur verre au collodion, 32 x 41 cm (vol.), vue F6, Paris, BnF,
cf. l'ouvrage sur Gallica.


- DEGAND Eugène (1829-1911), Nice, Quai du Midi, détail, vers 1875,
Nice et ses environs, 1875, 
 album de 25 photographies positives sur papier albuminé 
d'après des négatifs sur verre au collodion, 32 x 41 cm (vol.), vue F6, Paris, BnF,
cf. l'ouvrage sur Gallica.



Mais combien sont-ils ? Probablement cinq ou six, à se déplacer ensemble dans Nice, et trois ou quatre hors de la ville, un autre comparse étant aux manœuvres derrière l'appareil et scénographiant la scène. On voit bien dans le détail ci-dessous que le plus jeune s'est déplacé, de part et d'autre du réverbère, pendant la prise de vue. Quant aux autres comparses, il y a souvent une femme, probablement la femme de l'un des photographes (épouse d'Eugène Degand ?), plus difficile à identifier avec certitude de photo en photo, et parfois un homme portant une canne que l'on aperçoit ici, derrière le réverbère.



- DEGAND Eugène (1829-1911), Nice, Quai du Midi, détail, vers 1875,
Nice et ses environs, 1875, vue F6, Paris, BnF.

- Auteur non identifié (DEGAND Eugène), Nice, Le Port, vers 1875-1885,
vue F23, l'une des 489 photographies positives sur papier albuminé de l'album intitulé,
Recueil - Voyages en France et en Europe, édité vers 1875-1885, 
constitué de photos de différents pays et auteurs et conservé à Paris, à la BnF,
cf., l'ouvrage sur Gallica.



L'homme barbu affectionne particulièrement les rôles de pêcheur et on le retrouve régulièrement assis au bord de la côte, une longue canne à la main dans les photos d'Eugène Degand, et parfois même dans celles de Jean Walburg de Bray qui ne recourt que plus rarement à cet artifice. 

Pourquoi ce jeu ? Pour pallier le manque de vie et résoudre le problème du temps de pose qui réduit les personnages en mouvement à des figures fantomatiques.

Combien de temps ce petit jeu a-t-il duré ? Il est attesté, chez Eugène Degand, du tout début des années 1870 jusqu'au milieu des années 1880 (photos du nouveau Casino de Monte-Carlo). 


DEGAND Eugène (1829-1911), Cannes, La Promenade et les Bains, détail, vers 1875,
Nice et ses environs, 1875,
 album de 25 photographies positives sur papier albuminé 
d'après des négatifs sur verre au collodion, 32 x 41 cm (vol.), vue F24, Paris, BnF,
cf. l'ouvrage sur Gallica.



Il faut s'interroger sur l'identité de ces hommes : le premier barbu (Paulin Gilly, assistant de Jean Walburg de Bray?), le second moustachu (Eugène Degand ?) et le troisième jeune et imberbe (Jean Giletta, assistant de Jean Walburg de Bray, environ 18 ans à cette date ?) A ce stade de la recherche, aucune certitude, d'autant que peu de portraits de photographes niçois sont identifiés mais il y a des portraits plus tardifs et barbus (bouc) de Jean Gil[l]etta (1856-1933, et non 1866-1933, acte de décès vérifié).


Enfin, il existe également une série de six photographies prises dans les jardins du Casino de Monte-Carlo mais cette fois-ci par Jean Giletta. Après avoir pensé que ces photos appartenaient au fonds de Jean Walburg de Bray, racheté par Jean Giletta en 1880, il apparaît que ces photos ont bien été prises par Jean Giletta dans les années 1880 (vers 1880-1886). En effet des photographies de ces mêmes années, prises par d'autres photographes, montrent cette même configuration fleurie des parterres. Les photographies prises par Jean Giletta l'ont été dans sa période où il était associé à Paulin Gilly, et il y a de grandes chances que Paulin Gilly et Eugène Degand soient les deux acteurs de cette mise en scène.



- Anonyme (GILETTA Jean, [1856-1933] & GILLY Paulin [?-?], Monte-Carlo, Les Jardins, 839, détail, vers 1880-1886 (?),
tirage albuminé de 27,5x22 cm sur carton de 28,3x22,7 cm, Collection personnelle. 


- Anonyme (GILETTA Jean, [1856-1933] & GILLY Paulin [?-?], Monte-Carlo, Les Jardins, 839, détail, vers 1880-1886 (?),
tirage albuminé de 27,5x22 cm sur carton de 28,3x22,7 cm, Collection personnelle. 


Il est certain qu' Eugène Degand (1829-1911) et Jean Walburg de Bray (1839-1901) se connaissent. Le tampon de ce dernier, notamment présent dans l'un des recueils de la BnF, précise cependant l'adresse de son atelier et de son magasin.



- WALBURG DE BRAY Jean (1839-1901), Tampon, 1876,
Souvenir de voyage - Nice, Cannes, Menton, édité en 1876, Paris, BnF.

- DEGAND Eugène (1829-1911), Verso des photographies du milieu des années 1870.



L'atelier de Walburg de Bray, attesté dès le milieu des années 1860, partagé un temps avec Paulin Gilly et Jean Gil[l]etta, est situé, 12 Petite Rue Saint-Etienne (actuelle rue Rossini). Il est proche de celui d'Eugène Degand, sis 18 place Saint-Etienne, derrière la Pension Millet (3 rue Saint-Etienne - Charles Nègre et Luigi Crette disposent pour leur part d'un atelier au n° 5 rue Saint-Etienne).

Le nom de Jean Walburg de Bray ("Bray de", "Debray", "Walbourg de Bray") semble disparaître des annuaires et ouvrages de la ville de Nice vers 1884 (date de son décès ou de l'arrêt de son activité ?). C'est d'ailleurs vers cette date-là (1880-1881) que Jean Gi[l]etta (1856-1933), le jeune assistant de Walburg de Bray, choisit de s'associer avec Paulin Gilly, d'ouvrir un atelier (au n° 5 rue de Genève jusqu'en 1885 puis aux n° 2 et 7 puis 11 rue Paganini jusqu'en 1890 puis seul au n° 9 rue de la Paix , renommée ensuite Georges Clemenceau) et de racheter le fonds photographique de son ancien maître afin de l'exploiter (d'où l'attribution erronée de nombreuses photos de Walburg de Bray à Gil[l]etta).



Plan de la Ville de Nice, détail, 1881, 
Leschevin Edmond et Langlois Edouard, Plan-Album - Nice, Cannes & Monaco, 2ème année, 
Éditeur Mouillot, Paris, fin 1882-début 1883, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole :
 emplacement approximatif des locaux de Degand (en rouge) et Walburg de Bray (en jaune), 
avec au nord, leur atelier et au sud, leur magasin.



Les magasins de Walburg de Bray et d'Eugène Degand ne sont pas très éloignés non plus ; celui de Walburg de Bray est situé au, 17 du Quai Saint-Jean-Baptiste bordant la rive gauche du Paillon (celui des Frères Neurdein au n° 13), près de l'Hôtel Chauvain (et de la rue Chauvain où Charles Nègre, Alphonse Davanne et Aleo possèdent un atelier au n° 3, Albert Pacelli au n° 5 et Pierre Ferret au n° 8/7). Le magasin d'Eugène Degand est sur la même rive, un peu plus au sud, de l'autre côté de la place Masséna, au milieu de la rue Paradis, entre l'Hôtel de France et celui de Grande-Bretagne.



- Carte postale du début du XX° siècle montrant le magasin d'Eugène Degand à Cannes, vers 1905-1910, Collection privée.



- Carte postale du début du XX° siècle montrant à Cannes, la rue d'Antibes, vers 1905-1910.
détail du magasin d'Eugène Degand, 
carte signée du logo "Soly Phot Lyon" (Société Lyonnaise de Phototypie, imprimeur à Lyon, fondée en 1903),
et des initiales "H. W.", Collection personnelle,.




Eugène Degand et Jean Walburg de Bray ont également possédé un magasin à Cannes, et si deux photographies du magasin cannois d'Eugène Degand sont connues (ci-dessus), je ne désespère pas d'en trouver une de leur magasin niçois.

La première carte postale n'est étrangement pas signée, même si l'on peut penser à une carte publicitaire pour le magasin au nom anglais, "Photographic Goods" ("Articles Photographiques") dont la porte et la vitrine affichent le nom du propriétaire ("E. Degand").

Le magasin cannois, qu'Eugène Degand a confié à son fils Arsène, a été ouvert en 1905 (Gallica - Marseille Revue Photographique de 1905 p 148). Il apparaît dans les annuaires, à la rubrique "Appareils photographiques" et parfois dans la liste des habitants, au nom de "Degant" (sic) de 1906 à 1913 au 13, rue d'Antibes puis au nom de "Degand" de 1914 à 1920/21 (annuaire de 1921 absent) au 65, rue d'Antibes (et le domicile au n° 67).

Ainsi Eugène Degand et plus encore Jean Walburg de Bray font-ils partie des pionniers de la photographie de la Côte d'Azur (années 1860-1880), comme le célèbre Charles Nègre (1820-1880) mais ils restent pour leur part méconnus, alors que Jean Gil[l]etta, qui appartient à la génération suivante, est mis en lumière et occulte son maître. 

Peu de photos d'Eugène Degand semblent par exemple conservées par les Archives des Alpes-Maritimes, le Théâtre de la Photographie et de l'Image et les Bibliothèques municipales de la ville de Nice, sauf par celle du Chevalier de Cessole. Au final, c'est la BnF qui possède le plus grand nombre de ses photos même si l'auteur n'est souvent pas authentifié.

J'émets donc l'hypothèse que dans les albums de la BnF :
- Nice et ses environs, 1875toutes les photos sont d'Eugène Degand,
- Recueil - Voyages en France et en Europe, vers 1875-1885, dix planches (41 photos, seulement celles de la Côte d'Azur), sont pour partie (9 retrouvées signées de son tampon) ou toutes d'Eugène Degand,
- Souvenir des Alpes-Maritimes - Nice, Monaco, Menton, Cannes, vers 1890, les photos semblent de Jean Walburg de Bray et dater des années 1875-1880, peut-être diffusées plus tardivement par Jean Gi[l]etta.