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jeudi 22 août 2013

149-MARCEL DUCHAMP (1887-1968) - Troisième Partie-1920-1937




1920-1937

Marcel Duchamp devient marchand d'art (notamment des œuvres de Brancusi) et joueur d'échecs professionnel. Sa vie alterne entre New-York et Paris où il revient habiter en 1926. Au niveau de sa production artistique, fasciné par le mouvement, la rotation et sa capacité hypnotique, il mène des expérimentations cinétiques (Rotatives, Rotoreliefs) et une expérience cinématographique (Anemic Cinema).



Marcel DUCHAMP (1887-1968), Rotative plaques verre, 1920,
série de cinq plaques de verre constituant un seul dessin circulaire
fait de lignes blanches et noires, moteur, support métallique,
New Haven, Yale University Art Gallery.


« Une série de 5 plaques de verre sur lesquelles étaient tracées des lignes blanches et noires tournant sur un axe métallique; chaque plaque était plus grande que la suivante et quand on regardait d'un certain point, tout correspondait et constituait un seul dessin. Lorsque le moteur tournait, les lignes faisaient l'effet de cercles continus blancs et noirs, très vaporeux comme vous pouvez l'imaginer. Avec Man Ray, nous avons travaillé au moteur dans le rez-de-chaussée que j'habitais à ce moment West 73 Road Street. Il a d'ailleurs failli être sérieusement blessé. Nous avions un moteur idiot qui augmentait de vitesse, on ne pouvait pas le contrôler et il a cassé une des plaques de verre qui a volé en éclat.»


Marcel DUCHAMP (1887-1968), Fresh Widow, 1920,
fenêtre de petite taille et carreaux de cuir, 77x51,5 cm,
avec inscription sur le socle, "Fresh Widow/Copyright Rose Selavy/1920".

« Ce modèle réduit d'une fenêtre à la française fut exécutée par un menuisier new-yorkais en 1920. Pour le terminer, je remplaçai les vitres par des carreaux de cuir, dont j'exigeai qu'ils fussent cirés chaque jour comme des chaussures. Cette "French Window" fut baptisée "Fresh Widow" (Veuve impudente), calembour assez évident. » 


MAN RAY (1890-1975), Marcel Duchamp en Rrose Sélavy, 1921,
photographie en noir et blanc.

Rrose Sélavy est un personnage fictif créé par Marcel Duchamp en 1920. Son nom apparaît pour la première fois sur une œuvre d'art, Fre(n)sh Wi(n)dow, modèle réduit de fenêtre à la française (fresh widow = veuve fraîche en anglais). Le nom de Rrose, qui ne prend alors qu'un seul r, est inscrit en signature sur la tablette. Elle figure ensuite dans une série de photographies réalisées par Man Ray, où Duchamp pose travesti en femme, maquillé et chapeauté. Le nom choisi évoque la phrase « Éros, c'est la vie ». Duchamp affirme également qu'il choisit le nom « Sélavy » pour sa sonorité juive. Le double r initial évoque, lui, le double l initial de certains noms gallois, comme « Lloyd ». Duchamp signe également du nom de Rrose Sélavy une série d'étranges calembours, par exemple : « Conseil d'hygiène intime : il faut mettre la moelle de l'épée dans le poil de l'aimée. » 
À partir de 1922, Robert Desnos reprend le personnage à son compte lors des séances de sommeil hypnotique qu'il pratique alors avec le groupe surréaliste et invente des aphorismes et contrepèteries contenant ce nom, comme : "Rrose Sélavy connaît bien le marchand du sel".

Marcel DUCHAMP (1887-1968), Belle Haleine, Eau de Voilette, 1921,
ready-made assisté, flacon et son étui, 16,3x11,2 cm, Collection privée.
L'artiste réalise une nouvelle étiquette pour un flacon Lalique du parfum de la Maison Rigaud, "Un air embaumé" (1914, parfum féminin floral oriental) et pour son étui en forme de cercueil. Le flacon reçoit, en plus de son nouveau nom en forme de jeu de mots, une des photographies prises par Man Ray de Marcel Duchamp en Rrose Sélavy, alors que son pseudonyme apparaît sous forme de signature sur l'étiquette de l'étui.


Marcel DUCHAMP (1887-1968), Why not sneeze Rrose Sélavy ? 
(Pourquoi ne pas éternuer Rrose Sélavy ?), 1921,
12,4x22,2x16,2 cm, ready-made assisté : cage à oiseaux, 152 cubes de marbre, thermomètre et os de seiche, titre inscrit sur le fond de la cage en ruban adhésif noir,
Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art.

« ... essayez de la soulever, elle est excessivement lourde, car ces cubes blancs qui sont à l'intérieur et que vous prenez pour des morceaux de sucre sont en réalité des cubes de marbre. C'est un readymade où le sucre est changé en marbre, créant un effet en quelque sorte mythologique. Le thermomètre est destiné à prendre la température du marbre. » 


Marcel DUCHAMP (1887-1968), Obligations pour la roulette de Monte Carlo, 1924/1938,
offset en rouge, noir, vert et jaune sur papier vélin, 31,9x21,8 cm.

En 1924, l'artiste conçoit un système de bons de 500 francs, destinés à financer sa nouvelle passion pour le jeu, en promettant un dividende de 20% sur ses gains éventuels. Il en vendra très peu. Sur le bon, apparaît une photo de lui, réalisée par Man Ray, la tête recouverte de mousse à raser et les cheveux coiffés en forme des cornes du dieu Pan, amateur de hasard.


Marcel DUCHAMP (1887-1968),  Rotative demi-sphère, 1924-1925,
H : 137,3 cm, D : 65,5 cm, cercles excentriques formant une spirale dans la rotation (jeu hypnotique).

« J'ai fait une petite chose qui tournait, qui faisait des tire-bouchons comme effet visuel, et cela m'a attiré, pour m'amuser. J'ai d'abord fait ça avec des spirales... même pas des spirales, c'étaient des cercles excentriques qui s'inscrivaient l'un dans l'autre formant une spirale, mais pas au sens géométrique, plutôt celui de l'effet visuel.»

VOIR LE FILM DE MARCEL DUCHAMP, "ANEMIC CINEMA".
Marcel DUCHAMP (1887-1968),  Anemic Cinema, 1926,
 film muet 35 mm, 7 minutes, noir et blanc, réalisé en collaboration avec Man Ray et Marc Allegret, copyrighted by Rrose Sélavy,
plans fixes montrant successivement 19 disques rotatifs à textes ou spirales mesmérisantes (hypnotisantes). 
Les textes sont des boutades empruntées à Rrose Sélavy comme "Inceste ou passion de famille à coups trop tirés", "Esquivons les ecchymoses des esquimaux aux mots exquis", "Avez-vous mis de la moelle de l'épée dans le poêle de l'aimée".


Marcel DUCHAMP (1887-1968), Porte simple au lieu de deux portes, 1927,
système aménagé dans son appartement parisien (11 rue Larrey) permettant de relier
 ou de séparer les pièces de la chambre, de la salle de bains et de l'atelier.
« J’ai montré la chose à des amis en leur disant que le proverbe “Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée”
 se trouvait ainsi pris en flagrant délit d’inexactitude ».


Marcel DUCHAMP (1887-1968), La Mariée mise à nu par ses célibataires, même
ou la Boîte verte, 1934,
Publiée en 1934 à 300 exemplaires + 20 de luxe aux Éditions Rrose Sélavy, cette boîte portant le titre de "La Mariée mise à nu par ses célibataires même" contient 93 documents (photos et fac-similés de dessins et notes manuscrites des années 1911-15) ainsi qu'une planche coloriée au pochoir (9 Moules mâlics). 

« ...pour qu'elles conservent leur caractère privé et pour montrer par dessus le marché le peu d'importance qu'il attachait à ces notes, Duchamp s'est justement refusé à les ordonner après coup et à les livrer aux typographes; on les a photographiées, puis clichées, et c'est ainsi qu'elles se trouvent reproduites authentiquement -billets déchirés ou maculés, griffonnages sur des papiers de tous ordres, au crayon, à l'encre noire, ou bleue, ou rouge, notations inachevées, projets, plans, répétitions, etc, etc - et jetées en vrac, pêle-mêle avec des graphiques et d'admirables photographies, dans un vaste cartonnage rectangulaire qui forme la couverture du livre. »

Marcel DUCHAMP (1887-1968),  Rotoreliefs, 1935, 
6 disques en carton de 20 cm de diamètre, imprimés recto-verso en lithographie offset, offrant 12 motifs graphiques à base de spirales (Corolles, Oeuf à la coque, Lanterne chinoise, Lampe, Poisson japonais, Escargot, Verre de Bohême, Cerceaux, Montgolfière, Cage, Eclipse totale, Spirale blanche) destinés à tourner sur le plateau 
d'un phonographe et à donner l'illusion de formes en 3D (même avec un seul œil), 
ensemble tiré à 500 exemplaires (Davis Museum and Cultural Center, Wellesley College).




Dès 1923, l'artiste a crée son premier jeu de disques rotatifs. Duchamp considére ses rotoreliefs comme un jouet. Ils s'agit de 12 motifs très graphiques à base de spirales, imprimés au recto et au verso de 6 disques de papier fort. Placés sur le plateau d'un phonographe ils donnent en tournant l'illusion de formes en 3D : boules, cônes, hélicoïdes... Après avoir été brevetés, les disques sont imprimés à 500 exemplaires, Duchamp désirant les vendre le moins cher possible au plus grand nombre. Il les réunit dans un étui rond et propose l'ensemble à 15 francs au concours Lépine de 1935. Duchamp lui-même fait le vendeur sur le stand qu'il a loué. Mais la petite entreprise se solde par un fiasco : entre "un gars qui vendait une machine à compresser les ordures ménagères" et "une poule qui vendait des éplucheurs instantanés de pommes de terre", personne ne s'arrête au stand de Marcel, sauf son ami Henri-Pierre Roché, qui finançait l'opération, et qui nous relate le spectacle avec humour dans le texte où tous es mots sont attachés, DISKOPTIKSDEMARCELDUCHAMP.




Marcel DUCHAMP (1887-1968), La boîte-en-valise, 1936-1941/1968,
boîte en carton recouverte de cuir rouge contenant des répliques miniatures d’œuvres,
69 photos, fac-similés ou reproductions de tableaux collées sur chemise noire,
40,7x38,1x10,2 cm, boîte déployée pour présentation : 102 x 90 x 39,5 cm.

« Tout ce que j'ai fait d'important pourrait tenir dans une petite valise. » 
En 1936, Marcel Duchamp commence la réalisation d'un "musée portatif" qui présenterait toutes ses oeuvres principales en modèle réduit. Après 5 ans de travail méticuleux paraît à Paris le 1er janvier 1941 la première Boîte-en-valise, achetée par Peggy Guggenheim. Elle contient 69 reproductions, dont 3 véritables répliques miniatures de readymades (Air de Paris, ...pliant...de voyage, et Fontaine) qui côtoient un petit Grand Verre sur celluloïd. Marcel assemble lui-même les 24 premiers exemplaires, ajoutant à chacun un original quelquefois très original, comme le paysage séminal de la Boîte N° 12 ou les tifs et poils de la N° 13. Les 280 boîtes suivantes, complétant l'édition totale, sont assemblées par séries successives jusqu'en 1968.